Annulation du droit à l’avortement aux Etats-Unis : « Pas en mon nom » !


J’ai rarement ressenti une telle sensation de stupeur lors d’un événement étranger à notre pays. La dernière fois, c’était le 8 novembre 2016 avec l’élection de Donald Trump comme quarante-cinquième président des Etats-Unis. Ce sentiment de peur mélangé à de l’angoisse et accompagné d’un profond abattement. Après l’annonce de l’annulation du droit constitutionnel à l’avortement, j’ai vu de nombreux commentaires de jeunes catholiques que j’ai côtoyés ces dernières années ravis de cette décision. Pour ma part, ce n’est pas de la joie que je ressens, mais une profonde tristesse car je sais que cette décision va avoir des conséquences dramatiques sur la vie des femmes. J’ai voulu mettre des mots sur ce que je ressens, afin de faire émerger le cri du cœur d’un jeune chrétien qui compatit avec la souffrance que doivent ressentir les femmes, mais qui souffre également de son côté de voir « Dieu » servir de caution à des lois réactionnaires et hypocrites. J’ai demandé à l’une de mes deux sœurs de m’écrire quelque chose sur son propre ressenti. Je ne me voyais pas vous proposer un article sur l’avortement sans faire participer une personne directement concernée par ce sujet. J’espère que ces quelques lignes trouveront un écho chez d’autres chrétiens qui tentent de regarder plus loin que la doctrine et le dogme de l’Eglise sur ce sujet.


Source : Libération

Plus de place assise en salle d’attente

Il n’y a plus de chaises vides au Planning.

15h30

Nouvel étage sur ma pile de gobelets

Rivière d’expresso dans le sang

Je suis café fatiguée.

Coincée dans un nuage de sueur

Mes yeux tournent, me vomissent son image

Le toucher de ses mains sales

Je prends un journal pour oublier la chaleur:

« Vendredi noir pour l’IVG

A voté

Avorté

Aveux tus

Expulsée décolleté

Trop voilée

Agressions minimisées

Manifestantes embarquées. »

De la cour du lycée à la Cour suprême

La musique est la même

Le son de leurs rires gras qui pensent décider

Où iront nos corps

Et déforment nos notes pour jouer leurs accords.

Fanny Perret

Pour découvrir d’autres poèmes de Fanny :

https://short-edition.com/fr/auteur/fanny-perret


Avant de débuter ce cri du cœur, je souhaite vous faire lire un extrait issu d’un entretien entre le père Édart, prêtre de la Communauté de l’Emmanuel et doyen de la faculté de théologie à l’Université Catholique de l’Ouest, et un journaliste de RCF le 4 mai 2022 intitulé « Carte blanche du père Jean Baptiste Édart, La fin de l’avortement aux USA ? ». Il est pour moi représentatif de l’implantation de ces mouvements « pro-vie » en France et de leur influence au sein de l’Eglise.

« Si ce projet de loi devait aboutir, ce que nous souhaitons ardemment, le message envoyé au monde serait capital. Cela attesterait qu’il n’y a pas de soi disant progrès sociétal qui ne soit susceptible d’être remis en cause un jour. Ce qui a été fait un jour peut être défait le lendemain comme entre deux mi temps de rugby. Tous ceux qui luttent en Europe, et plus particulièrement en France pour que la vie soit respectée de sa conception à sa loi naturelle trouverait dans ce revirement législatif une source d’espérance pour leur propre combat. Une loi humaine ne reste qu’une décision temporaire susceptible d’être remise en cause de la même manière qu’elle a été instaurée  »

Je passe sur la comparaison « foireuse » avec le match de rugby pour aller à l’essentiel sur cet extrait qui résonne comme un avertissement pour les françaises. Le mouvement « Pro Life », responsable de ce retour en arrière historique pour le droit des femmes de l’autre côté de l’Atlantique, est également présent en France. Certes, beaucoup moins puissant que chez nos voisins américains, il risque cependant de gagner en puissance dans les mois qui viennent.

Pour ceux qui penseraient que cette décision de la Cour suprême est motivée par la volonté de protéger la vie, j’attire votre attention sur le fait que la même semaine ces conservateurs ont voté une loi qui autorise le droit de porter une arme à feu en dehors de chez soi. 402… C’est le chiffre du nombre de mineurs blessés ou tués aux Etats-Unis depuis le début de l’année (Source : Libération). Ce retour en arrière, de la loi sur la dépénalisation de l’avortement, n’a donc rien à voir avec une volonté de défendre des vies sinon ces mêmes personnes voteraient pour un meilleur contrôle des armes à feux. Il s’agit d’un acte idéologique qui se fait au détriment des droits des femmes. Je rappelle que cette conception de la vie poussée à l’extrême n’a pas de limite. En effet, dans le cas de cette décision de la cour suprême, il s’agit de prendre en compte l’embryon comme porteur de la vie mais cela peut aller encore plus loin. Certains conservateurs catholiques, considèrent que la vie commence dans les cellules reproductrices et par conséquent que la masturbation est contraire à la vie.

Est-il utile de rappeler que plusieurs de ces membres conservateurs de la Cour suprême ont été nommés par Donald Trump? Un homme qui disait attraper les femmes « par la chatte » (Source : le Figaro), a séparé de leurs enfants les migrants clandestins pour les dissuader de franchir la frontière et dont 575 enfants étaient toujours seuls fin 2020 (Source : « Les années Donald Trump en un symbole » par le journal « Le Monde »), a retiré les États-Unis des accords de Paris réduisant ainsi nos chances de parvenir à maintenir un réchauffement climatique en dessous de 1,5 degré nécessaire pour assurer la continuité de la vie sur Terre, mais qui est également mis en cause ces derniers jours dans les violences qui ont eu lieu au Capitole le 6 janvier 2021 et qui ont coûté la vie de 5 personnes (Source : EuroNews « Attaque du Capitole : témoignage accablant contre Donald Trump »). Le retour de la pénalisation de l’avortement est le fruit d’un long travail de l’ombre des mouvements « pro Life » bien aidés par l’ancien président qui leur avait apporté son soutien comme en témoigne « la marche pour la vie » du 24 janvier 2020 à laquelle il a participé.

Certains catholiques se réjouissent, à l’instar du père Édart, du retour de la pénalisation de l’avortement aux Etats-Unis. Pour rappel : 47 000 femmes meurent chaque année dans le monde des suites d’un avortement clandestin (Source : Haut conseil pour l’égalité) et en France avant la loi Veil c’était une femme tous les deux jours. Pourquoi avons nous légalisé l’avortement ? Je ne trouve rien de plus juste que ces mots de Simone Veil pour répondre à cette question :  » Parce qu’en face d’une femme décidée à interrompre sa grossesse, ils savent qu’en refusant leur conseil et leur soutien ils la rejettent dans la solitude et l’angoisse d’un acte perpétré dans les pires conditions, qui risque de la laisser mutilée à jamais. » (Discours de Simone Veil du 26 novembre 1974). Penser que pénaliser l’avortement fera baisser le nombre d’avortements c’est nier la réalité. C’est exactement la même chose que pénaliser la prostitution (ce qui oblige ces personnes à « travailler » dans des endroits éloignés des villes pour éviter la police ce qui augmente le risque des agressions en plus de les plonger dans une plus grande précarité) ou que de vouloir « fermer les frontières » de son pays pour stopper les migrants (ça rend simplement les routes plus dangereuses et plus risquées pour les personnes). Ces mesures sont de la poudre aux yeux, des effets d’annonce mais en réalité cela ne règle jamais les problématiques qui sont visées. Elles viennent simplement donner l’illusion à quelques conservateurs ou nationalistes que le problème n’existe plus. Pénaliser c’est mettre un drap sur ce que l’on ne veut pas voir et cela se fait toujours au détriment des minorités, des classes dominées ou des plus fragiles. Le véritable respect de la vie serait d’accepter d’accompagner les femmes qui décident d’avorter, non pas pour les en dissuader mais pour être avec elle sur le chemin qu’elles ont choisi de prendre. Un moyen simple de faire baisser le nombre d’avortements, pourrait être de donner plus de visibilité aux contraceptions masculines qui existent pourtant depuis des années. Cela permettrait de faire baisser le nombre de grossesses non désirées qui peuvent aboutir à une interruption volontaire. Mais pour cela, il faudrait que nous les hommes nous acceptions de porter une part de la charge mentale (sur ce sujet de la contraception) que nous avons injustement fait porter aux femmes depuis des siècles. Qu’en pensent les juges de la Cour suprême ? On me dit dans l’oreillette que ma proposition ne va pas être retenue puisqu’ils sont trop occupés à pénaliser la sodomie et à retirer le pouvoir de l’agence de protection de l’environnement dans sa lutte contre le réchauffement climatique…

Pour avoir côtoyé les milieux catholiques conservateurs et certains protestants évangéliques ces dernières années (milieux « pro Life »), je constate un paradoxe chez ces « défenseurs » du respect de la vie à tout prix. Plus qu’un paradoxe, une profonde incohérence. En effet, ils proclament haut et fort l’importance de protéger « la vie » même si cela se fait au détriment de la vie des femmes et de leurs droits. De plus, ces personnes sont généralement pour une modification de l’orientation sexuelle des personnes homosexuelles (ou d’un accompagnement vers la chasteté…) via notamment les tristement célèbres thérapies de conversion qui sont une forme de torture psychologique aux conséquences dramatiques sur la vie des personnes concernées. Elles ont également voté massivement pour Éric Zemmour ou Marine Le Pen pour « contrer » les flux de migrants et ont donc fait le choix d’accorder leur vote à des candidats qui sont très loin de l’accueil inconditionnel que le pape nous invite à avoir pour nos frères et nos sœurs qui demandent à être accueillis. Laisser des personnes mourir à nos portes ne semblent pas émouvoir ces « paladins du respect de la vie »… Enfin, et c’est probablement l’élément le plus dissonant, je constate que ces personnes ne sont pas pas non plus en premières lignes pour défendre les droits des animaux, la protection de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique contrairement à l’invitation de l’encyclique « Laudato si » du pape François. Quand je dis qu’elles ne sont pas en premières lignes, je précise que c’est un euphémisme. Le climatosceptisme véhiculé dans ces milieux est criminel au regard de l’urgence à laquelle nous devons faire face. Si nous ne parvenons pas à limiter le réchauffement climatique, nous aurons plus de déplacés, plus de catastrophes naturelles, moins de ressources donc plus de guerres et par conséquent plus de morts. Ce qui est en jeu, ce n’est pas un soi disant « respect de la vie », mais bien notre survie ! La « vie » de l’embryon a donc plus de valeur que la vie des migrants, des personnes homosexuelles, des femmes, des animaux… ou que de notre propre vie sur une planète habitable ?

« Père pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ! » (Luc 23-24)

Il est grand temps que l’image de l’Église cesse d’être associée à ces conservateurs chrétiens qui n’ont de chrétien que le nom ! Cet événement marque un tournant dans mon positionnement de croyant. Cela fait des mois que je me demande pourquoi je reste dans cette Église qui se referme sur elle même et qui refuse d’incarner réellement le message d’accueil et d’amour inconditionnel de Dieu pour nous. J’ai voulu claquer définitivement la porte plus d’une fois surtout après cette élection présidentielle qui a mis en lumière le basculement d’une partie des catholiques vers l’extrême droite (40% des pratiquants). Nous pouvons remercier le formidable travail de Vincent Bolloré pour imposer sa vision réactionnaire et xénophobe du monde dans le milieu catholique… Je n’en peux plus de ces incohérences, de ces trahisons du message d’amour de Jésus pour nous, de ces patriarches qui s’accrochent à leur position de pouvoir, de ces personnes blessées et meurtries par l’institution qui est censée les protéger… Après l’annonce de la décision de la cour suprême, j’ai eu honte d’appartenir à la même Église que ces personnes, honte de voir que la foi chrétienne était encore et toujours sur le devant de la scène pour des raisons qui ne font pas honneur aux messages des évangiles. J’ai senti en moi que le moment était venu de claquer définitivement la porte de l’Église. Puis, je suis tombé sur l’icône du Christ posée sur ma bibliothèque, et j’ai revu ce visage qui m’avait fait découvrir que j’étais aimé inconditionnellement, il y a trois ans, lors de la naissance de ma foi chrétienne à la Flatière.

Ce visage du jeune Rabbi de Nazareth qui, comme l’exprime si bien mon ami Jean-Michel Dunand dans la préface de mon livre, est « nu, désarmé et donc désarmant ». Encore une fois, c’est lui qui me permet de reprendre pied. Il me donne la force de continuer à avoir foi en l’humain, foi en l’avenir mais également foi dans la capacité de l’Église à opérer un changement profond, radical et nécessaire dans les années à venir. Ma place est dans l’Église mais je ne me tairai plus ! Aujourd’hui, quelques mois après ce coup terrible porté aux femmes au nom du « respect de la vie » et de « Dieu », je dis stop et je clame haut et fort :

« Pas au nom des chrétiens, pas au nom de Dieu, pas en mon nom* ! »

*En référence au film de Daniel Kupferstein « Pas en mon nom ! »

Olivier Perret


Pour aller plus loin :

Je vous conseille le film « L’événement » de Audrey Diwan d’après le roman d’Annie Ernaux : « France, 1963. Anne, étudiante prometteuse, tombe enceinte. Elle décide d’avorter, prête à tout pour disposer de son corps et de son avenir. Elle s’engage seule dans une course contre la montre, bravant la loi. Les examens approchent, son ventre s’arrondit. » (Source : Allo ciné)

Le média Blast a sorti une vidéo suite à la décision de la cour suprême que je vous invite à visionner :

https://www.blast-info.fr/emissions/2022/ivg-un-recul-dramatique-une-menace-pour-toutes-les-femmes-Ly3RINi-S7GqU1X3N1uhOQ

Il est impossible de ne pas terminer cet article avec le discours de Simone Veil face à l’Assemblée Nationale :


« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Simone de beauvoir

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